La prise d'acte de la rupture par le salarié : panorama de la jurisprudence
La prise d'acte de la rupture par le salarié ne constitue ni un licenciement, ni une démission, il s'agit d'un mode de rupture du contrat autonome résultant d'une situation de fait.
Depuis une jurisprudence récente, la prise d'acte de la rupture du contrat produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les griefs invoqués contre l'employeur sont fondés ou les effets d'une démission si les faits ne sont pas fondés.
Si un doute subsiste, il profite à l'employeur.
Le juge des référés n'a pas le pouvoir de se prononcer sur l'imputabilité de la rupture d'un contrat de travail, cette question relève du pouvoir des juges du fond.
Seuls les griefs suffisamment graves peuvent justifier la rupture du contrat de travail.
Ainsi, il a été jugé que constituent des griefs justifiant une prise d'acte de rupture aux torts de l'employeur:
- Le fait pour un employeur de décider unilatéralement de réduire le commissionnement de 15% à 12%, sans l'accord du salarié, ce qui constitue une modification du contrat de travail, et de retirer au salarié, pendant des périodes de suspension du contrat de travail un véhicule de fonction (Cass. Soc. 24 mars 2010, n°08-43.996)
La Cour avait ainsi relevé:
« Mais attendu, d'une part, qu'ayant constaté que le taux de commissionnement de 15 % prévu lors de l'embauche était passé à 12 % selon une note de l'employeur du 12 juillet 2000 et exactement retenu, par motifs adoptés, que même si Mme X... avait exprimé l'intention de quitter l'entreprise, l'employeur n'était pas autorisé à s'exonérer du respect des dispositions légales et contractuelles en matière de rémunération, la cour d'appel en a déduit à bon droit que la réduction du taux de commissionnement sans l'accord de la salariée constituait une modification du contrat de travail ; »
- La réduction du taux de commissionnement sans l'accord du salarié constitue une modification du contrat de travail; cette solution était connue. (Cass Soc 18 avril 2000, n°97-43.706, 8 janvier 2002, n°99-44.467)
- Le fait pour un employeur d'avoir modifié unilatéralement le mode de rémunération contractuel d'un salarié, même si ce nouveau mode de rémunération est plus avantageux. Une telle modification intervenue, sans l'accord du salarié constitue une modification de son contrat de travail justifiant la prise d'acte. (Cass. Soc. 5 mai 2010, n°08-43.832)
- Le fait pour l'employeur de modifier unilatéralement le taux de commissionnement appliqué. (Cass Soc 9 avril 2008, n°07-40668)
- Le fait de réduire la partie variable de la rémunération d'un attaché commercial, sans son accord et malgré ses protestations constituent une modification unilatérale de son contrat. (Cass Soc 15 octobre 2008, n°07-42400)
- Le non paiement des commissions d'un agent commercial pendant 5 mois. (Cass. Soc. 17 octobre 2007, n°06-42.793)
- La rémunération contractuelle du salarié constitue un élément du contrat de travail qui ne peut être modifié, même de manière minime, sans son accord; il en va de même du mode de rémunération prévu par le contrat. (Cass Soc 18 octobre 2006, n°05-41644)
- Le non respect par l'employeur des dispositions de l'accord d'intéressement. (Cass. Soc. 14 septembre 2010, n°09-40.648)
- Le non paiement de primes. (Cass Soc 7 avril 2010, n°09-40.020)
Le fait de ne pas rémunérer l'intégralité des heures de travail effectués par le salarié, de ne rémunérer que partiellement les heures supplémentaires et de ne pas régler intégralement les indemnités de repas. (Cass Soc. 20 janvier 2010, n°08-43.476). Cette jurisprudence doit s'apprécier au regard d'un arrêt rendu par la Chambre sociale de la Cour de Cassation, aux termes duquel il a été jugé le non paiement de 54 heures supplémentaires ne constituait un grief suffisant pour justifier la prise d'acte de la rupture (Cass Soc 5 décembre 2007, n°06-40714).
- Le fait de ne pas régler le paiement d'heures supplémentaires (Cass Soc. 12 juillet 2010, n°08-44.898)
- Le non paiement de commissions dues à un VRP justifie que ce dernier prenne acte de la rupture de son contrat de travail. (Cass Soc 9 févr. 2011, n°09-41145)
- Un « compte négociation », attribué à un VRP et basé sur une commission de 5% lorsque la vente est réalisée sans rabais et débité dans le cas contraire, constitue un élément de rémunération inclus dans le contrat de travail et ne pouvant donc être modifié sans l'accord du salarié. Dès lors, une cour d'appel ne pouvait valider sa suppression unilatérale en considérant ce compte comme une simple mesure incitative non assimilable à un salaire. (Cass. Soc. 9 février 2011, n°96-40.228)
- Le fait pour une société de modifier unilatéralement le mode de remboursement des frais de déplacement de la salariée, qui reposait sur une base forfaitaire, et ayant supprimé l'avantage en nature consistant en la gratuité des repas pris dans l'établissement. (Cass. Soc. 12 janvier 2011, n°09-41.159)
- Le fait pour l'employeur de ne pas fournir le travail convenu. Dans cette affaire, une société de presse avait décidé de restructurer l'équipe rédactionnelle de l'un de ses quotidiens et procédait au changement du rédacteur en chef, l'ancien s'était alors retrouvé sans travail à accomplir, tout en continuant à être payé. (Cass Soc. 3 novembre 2010, n°09-65.254)
- Le salarié avait exercé les fonctions de responsable commercial durant huit mois avant que l'employeur ne lui demande de reprendre ses anciennes fonctions de formateur, avec le statut de technicien qualifié, lui retirant l'usage du véhicule nécessaire à son activité commerciale, du téléphone et de l'ordinateur portable. (Cass Soc 20 janvier 2010, n°08-42739)
- Dans cette affaire, après avoir pris connaissance du refus par la salariée de la modification de la répartition des commissions qui lui était proposée, l'employeur n'avait pas renoncé à modifier son contrat de travail puis avait refusé de lui communiquer les biens rentrés par un tiers se trouvant sur son secteur géographique, de lui confier certains biens à la vente, ce qui avait abouti à une modification de sa rémunération. (Cass Soc 5 mai 2009, n°07-45031).
- La réduction indue du salaire fixe depuis plusieurs années et le règlement partiel des commissions constituent des manquements de l'employeur à ses obligations contractuelles justifiant la rupture du contrat de travail. (Cass Soc 7 avril 2009, n°07-42190).
- Le fait pour un employeur de s'être abstenu pendant la durée du contrat de travail de cotiser à une caisse de retraite complémentaire pour le salarié. (Cass Soc 6 octobre 2010, n°08-45106)
- Le non versement de la rémunération correspondant à la classification du salarié. En l'espèce, l'intéressé avait le niveau d'études et l'expérience professionnelle requis pour bénéficier de ce classement et l'employeur n'apportait pas la preuve que la mention constante de l'indice sur les bulletins de salaire était contraire à sa volonté. (Cass Soc 24 septembre 2008, n°07-41839).
Il est de jurisprudence constante que la prise d'acte de la rupture entraîne la cessation immédiate du contrat de travail. (Cass Soc 30 janvier 2008, n°06-14.218)
C'est donc également à cette date que l'employeur est tenu de remettre au salarié le certificat de travail et l'attestation ASSEDIC, sans attendre la fin d'un préavis éventuel. (Cass Soc 4 juin 2008, n°06-45757)
La prise d'acte de la rupture entraînant la cessation immédiate du contrat de travail, il s'ensuit que le juge qui décide que les faits invoqués justifiaient la rupture, laquelle produit alors les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, doit accorder au salarié qui le demande l'indemnité de préavis et les congés de payés afférents, l'indemnité de licenciement et les dommages et intérêts auxquels il aurait eu droit en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. (Cass Soc. 10 janvier 2010, n°08-43476; Cass. Soc 16 mars 2011, n°09- 67836)
A l'inverse, il a été jugé que ne constituaient pas des griefs suffisamment graves pour justifier la rupture du contrat de travail:
- Le fait pour l'employeur de réduire les tâches et diminué les responsabilités du salarié, tout en conservant son titre et sa rémunération. (Cass Soc 30 novembre 2010, n°09-42625)
- Le fait pour l'employeur de proposer une modification du contrat de travail qui est refusée par le salarié, et à la suite de ce refus renoncer à modifier le contrat. (Cass Soc 4 février 2009)
- La suppression d'une tâche entraînant la perte d'une prime ne met pas la rupture à la charge de l'employeur. Ainsi, il a été jugé qu'un changement d'affectation, qui entraîne la suppression d'une prime variable liée à l'exécution d'une tâche, n'est pas un grief justifiant la prise d'acte de la rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur(Cass Soc 16 mars 2011, n°08-42671)
- Le fait que l'employeur qui avait rencontré des difficultés pour reclasser le salarié, ait commis un unique manquement en ne reprenant pas le paiement du salaire en 25 années de relations contractuelles n'est pas suffisant pour justifier la rupture. (Cass Soc 26 octobre 2010, n°09-65012)
- L'employeur n'a pas modifié unilatéralement les horaires de travail prévus par le contrat de travail, les changements intervenus, pendant la mise en place de la nouvelle boutique, ayant été acceptés par la salariée. (Cass Soc 12 mars 2008, n°06-45973)
- Lorsque le seul manquement avéré parmi les griefs allégués à l'encontre de l'employeur est une erreur de calcul de sa prime d'ancienneté. (Cass Soc 3 juin 2009, n°08- 41021)
- en cas de simple proposition de modification du contrat de travail (Cass Soc, 2 juillet 2008, n°07-42299)
Dès lors qu'une prise d'acte est requalifiée en démission, le salarié est redevable d'une indemnité compensatrice de préavis. (Cass Soc, 2 juillet 2008, n°07-42299 ;Cass Soc 11 février 2009, n°07-18509)
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Clause de non-concurrence et dispense de préavis: Renonciation de l'employeur à la date du départ effectif du salarié de l'entreprise
Dans cette affaire, un salarié avait été engagé par contrat de travail assorti d’une clause de non-concurrence dont il pouvait être libéré par l’employeur « soit à tout moment au cours de l’exécution du contrat soit à l’occasion de sa cessation, sous réserve dans ce dernier cas de notifier sa décision par lettre recommandée ».
Dans cette affaire, la Chambre sociale de la Cour de cassation a statué « qu’en cas de rupture du contrat de travail avec dispense d’exécution du préavis par le salarié, la date à partir de laquelle celui-ci est tenu de respecter l’obligation de non- concurrence, la date d’exigibilité de la contrepartie financière de la clause de non-concurrence et la date à compter de laquelle doit être déterminée la période de référence pour le calcul de cette indemnité, sont celles du départ effectif de l’entreprise ».
La Chambre avait déjà posé ce principe dans un arrêt rendu en 2011 (Soc. 22 juin 2011, n° 09-68.762).
Cependant, aux termes du présent arrêt, elle ajoute que «l’employeur qui dispense le salarié de l’exécution de son préavis doit, s’il entend renoncer à l’exécution de la clause de non-concurrence, le faire au plus tard à la date du départ effectif de l’intéressé de l’entreprise, nonobstant stipulations ou dispositions contraires ». (Soc. 27 mars2013, n°11-23.967)